Mr Jean-François Mattei, ancien ministre de la santé, vice-président de l’Académie nationale de Médecine , a répondu à notre sollicitation et nous fait part de sa réflexion sur la place de l’enfant dans les lois de bioéthique :

« Je vais avoir le plaisir de vous parler de l’enfant et de la loi de Bioéthique.
Mais auparavant, je voudrais rappeler à grands traits pourquoi « l’enfant ».

Tout ce que l’on fait,
On le fait pour les enfants,
Et ce sont les enfants
Qui font tout faire.

Ces vers de Charles Péguy ont-ils gardé tout leur sens dans les contradictions de notre époque ?

Qu’en est-il de notre devoir de respecter l’enfant en tant que personne, de le protéger, de l’accompagner tout au long de son cheminement vers l’âge adulte sans jamais le considérer comme notre propriété ? Les enfants ne nous appartiennent pas, bien au contraire nous leur donnons la vie pour mieux pouvoir nous donner à notre tour. Concevoir un enfant c’est créer des exigences et des contraintes, mais c’est aussi donner un sens à notre propre vie. C’est cela ce merveilleux échange entre les générations. Les parents donnent la vie aux enfants et, en retour, les enfants donnent du sens à la vie des parents.

Mais il faut se méfier de la satisfaction tranquille et du sentiment d’un devoir faussement accompli. L’actualité se charge de nous le rappeler cruellement en rapportant qu’une personne sur trois qui meurt dans le monde est un enfant de moins de trois ans. Ce sont les enfants de la guerre, à jamais brisés. Ce sont aussi les enfants maltraités, affamés, oubliés jusqu’à en mourir. Ce sont encore les enfants exploités, vendus comme des marchandises. Par millions ils interrogent nos consciences en nous rappelant qu’ils ont, eux-aussi, le droit d’être aimés, accueillis, abrités et respectés.

Neuf ans d’action humanitaire comme président de la Croix-Rouge française engagé dans des lieux de souffrance où les repères habituels sont perdus m’ont souvent pris de court. Les enfants me sont alors apparus comme les sentinelles de la vie car quand ils commencent à souffrir, ils alertent sur la souffrance des adultes déjà là ou plus très loin. Ils nous appellent à réagir car ils sont les premiers à souffrir quand la nourriture fait défaut, que la maladie survient et que l’attention à leur égard finit par s’étioler. En dehors des mères totalement démunies, ils n’intéressent souvent plus grand monde sauf les publicitaires quand il faut émouvoir. Sauf encore lorsque les adultes les enrôlent de force et les fanatisent pour faire la guerre. Pensons simplement au Yémen, au Soudan, à Daech et à bien d’autres lieux…

Neuf années d’action sociale en France, toujours avec la Croix-Rouge, m’ont confirmé que les enfants constituent aussi dans notre pays une population sentinelle quand l’amour est remplacé par l’abandon et la souffrance. L’abandon de ces pupilles de l’Etat âgés de plus de huit ans, typés, malades ou handicapés et dont l’attente d’une improbable adoption est interminable parce que, ceux-là, très peu de gens les réclament. La souffrance muette des quelques 3.000 enfants victimes de mauvais traitements, peut-être beaucoup plus tant il est difficile de chiffrer la maltraitance. Ces enfants-là souffrent et peuvent mourir d’amour trahi. Ce sont les premiers à nous alerter quand le monde devient violent ou simplement indifférent autour d’eux dans une société dominée par la pensée postmoderne trop égoïste, individualiste et matérialiste.

Les enfants sont encore la population sentinelle quand la qualité de l’environnement vient à se détériorer car ils sont les premiers atteints. Ce sont toujours les enfants qui souffrent les premiers de la pollution de l’air, des excès de décibels, de la contamination de l’eau, des produits toxiques comme le plomb à l’origine du saturnisme… et il n’est pas besoin d’aller au bout de la terre… cela se produit à nos portes, au coin de nos rues, dans nos quartiers…

Voilà pourquoi je suis convaincu que les adultes que nous sommes ne doivent jamais oublier qu’ils ont un rôle majeur à jouer dans ce monde où les enfants sont souvent en danger. S’ils sont les sentinelles, nous devons être les veilleurs pour en être les gardiens. C’est notre mission absolue que d’être attentifs à leur fragilité, à leur vulnérabilité. C’est notre mission de les accompagner dans cette période de la vie où ils ne peuvent toujours exprimer ce dont ils ont besoin pour grandir et s’épanouir. Et nous avons parfois de grandes satisfactions quand avec notre attention le sourire revient, le rire éclate et l’élan vital reprend ses droits.

Or, la question se pose de savoir si l’attention à l’enfant est assez vigilante dans la loi de Bioéthique.

 

 

 

L’enfant et la bioéthique

 

« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris…»

J’ajouterai, « lorsque l’enfant paraît, l’éthique biomédicale s’en saisit ! »

Venant du fond des âges, l’éthique s’est trouvée mise en avant pour la première fois par Aristote dans son ouvrage intitulé « L’éthique à Nicomaque » qui tentait de définir le Bon, le Beau et le Juste.

Restée dans le domaine du concept et des idées comme dans l’ouvrage que le philosophe Spinoza lui a consacré, l’éthique a ressurgi après les horreurs de la deuxième guerre mondiale avec l’émergence d’une nouvelle conscience éthique (Comment des hommes ont pu faire ça à d’autres hommes ?). On retrouve cette préoccupation éthique, cette fois plus ancrée dans la pratique, chez le philosophe Paul Ricœur lorsqu’il parle de « la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes ».

Marquant pourtant la révolution médico-scientifique de la deuxième moitié du XXe siècle, aucune des lois, qu’elles traitent de la contraception en 1967, de l’interruption volontaire de grossesse en 1975, de la transplantation d’organes (1976) ou d’Informatique, fichiers et liberté (1978), je dis bien aucune de ces lois n’a jamais fait référence à l’éthique alors qu’elles comportent toutes une composante éthique majeure qui s’est d’ailleurs trouvée confirmée et développée depuis.

Dans la réalité, c’est l’enfant qui est à l’origine du débat éthique en France car la véritable irruption de l’éthique en médecine est liée à la naissance en 1982 d’Amandine, premier bébé conçu par la méthode de fécondation in vitro (FIV) qui posait, au-delà du mode de conception, la question du devenir des embryons dits surnuméraires. C’est la venue au monde de cette enfant qui a provoqué la création du Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) par le Président de la République dès 1983, soit à peine un an après. La mission première de ce comité était de réfléchir sur les nouvelles méthodes de procréation médicalement assistée, notamment la fécondation d’embryons in vitro, la naissance de l’enfant ainsi conçu et le devenir des embryons cryoconservés. Tout naturellement le questionnement s’est rapidement élargi sur les conditions de mise en œuvre de la Procréation Médicalement Assistée et ses indications. Puis sont venues s’ajouter les questions liées au développement des techniques génétiques, notamment le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire dans l’éprouvette après FIV (DPI) qui avaient pour but de prévenir la naissance d’enfants porteurs de handicaps et/ou de maladies génétiques. Bien d’autres domaines ont été abordés par les lois dites de Bioéthique, mais l’enfant constitue bien la raison première de ces lois. Il est difficile de parler de la révision actuelle de la loi de bioéthique sans la resituer dans son cadre plus général et mettre l’accent sur les évolutions envisagées à partir de l’existant.

En effet, si l’ensemble de la législation de Bioéthique de 1994 est fondée sur un principe essentiel : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », elle poursuit deux objectifs principaux.

  • D’abord, répondre au désir d’enfant, tout en rappelant le rôle de la famille et la nécessaire protection de l’enfant.
  • Ensuite, apprécier la qualité de l’enfant attendu.

 

Le désir d’enfant, d’abord.

C’est devant ce désir d’enfant que la loi de 1994 définit l’Assistance Médicale à la Procréation dans le cadre du projet parental d’un couple. Cette procréation médicalement assistée a donc pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple dont le caractère pathologique a été médicalement constaté et ne laisse aucun espoir de conception naturelle.

Le recours peut être l’insémination artificielle avec le sperme du conjoint (IAC) congelé et concentré dans certaines formes d’infertilité masculine liées à un trop faible nombre de spermatozoïdes. La conservation du sperme est également utilisée pour des hommes avant que le traitement d’un cancer testiculaire, par exemple, les rende le plus souvent stériles. Dans toutes ces indications l’enfant du couple est leur enfant biologique.

La question s’est alors posée de la conduite à tenir lorsque la femme vient demander l’insémination avec le sperme conservé de son mari pourtant décédé de sa maladie. Après une discussion difficile, il a été décidé de ne pas favoriser la conception d’un enfant qui serait orphelin de père. Ce sujet crucial a fait l’objet de nouveaux débats lors des révisions législatives de 2004 et 2011 sans que la disposition initiale soit changée. Récemment, à deux reprises, le Conseil d’Etat (arrêt du 31 mai 2016) et le tribunal administratif de Rennes (le 12 octobre 2016) ont, cependant, autorisé deux exceptions dans des conditions particulières. Pour une d’elle, il s’agissait d’une femme d’origine espagnole qui, devenue veuve, désirait retourner vivre en Espagne, pays dans lequel l’insémination post-mortem est autorisée. Pour l’autre, le tribunal administratif de Rennes avait évoqué  dans sa décision « des circonstances exceptionnelles » : la veuve avait perdu son bébé in utero après le décès de son époux. Le jugement s’appuyait notamment sur le « droit au respect de sa décision et de celle de son défunt époux de devenir parents ».

Lorsque le conjoint est définitivement stérile, on a recours à l’insémination à partir du sperme d’un donneur anonyme (IAD). Cette méthode a suscité de nombreuses réticences à la fin des années 1970 car il s’agissait de concevoir un enfant qui ne serait pas le fils biologique de son père social. D’ailleurs la question s’est posée de savoir si on pouvait vraiment donner son sperme comme on donne son sang, argument utilisé pour promouvoir la méthode. Donner son sang peut sauver une vie alors que donner son sperme conduit à créer une vie nouvelle, ce qui n’est pas du tout comparable ! En outre, le secret des origines biologiques ne manquait pas d’interroger. Ce sont les couples et les donneurs qui ont pratiquement imposé les choix législatifs.

Je me souviens d’un homme que j’interrogeais en particulier pour savoir si le fait que sa femme porte l’enfant d’un autre ne le gênait pas. Et il m’expliqua simplement qu’il désirait cet enfant, qu’il l’accueillerait, l’élèverait et serait bien son père. Pour finir il me demanda ce que je pensais le plus fort entre la biologie et l’amour ! Pour lui c’était l’amour et il n’y avait pas à discuter !

Enfin, les donneurs, d’ailleurs beaucoup plus rares qu’escomptés, acceptaient de donner leur sperme mais en aucune façon ne voulaient découvrir des enfants venant se faire connaitre et prendre de leurs nouvelles quelques années plus tard. En fait, la question de l’anonymat est entrée en résonance avec le problème identique rencontré par les enfants nés après accouchement sous/X, donc d’une mère ayant voulu garder l’anonymat. Adolescents ou jeunes adultes, un certain nombre d’entre eux, sachant la vérité de leur conception et de son secret, ont commencé une recherche quasi obsessionnelle de leurs origines biologiques sans pouvoir trouver leur équilibre psycho-affectif. Ce sujet est récurrent et sera certainement débattu à nouveau lors de la prochaine révision législative. J’ai le sentiment que les conditions de l’anonymat des donneurs seront grandement assouplies. De la même façon qu’a été créé au début des années 2000 le Centre National d’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) pour que les enfants nés sous/X puissent progresser dans la connaissance de leurs origines, il faudra envisager une démarche similaire pour les enfants nés d’un donneur anonyme. Cette évolution me semble inéluctable, d’autant que l’accès de plus en plus facile au séquençage de son génome ainsi qu’aux sites généalogiques sur internet ont déjà permis de percer l’anonymat dans un certain nombre de cas.

Lorsque l’infertilité est d’origine féminine et impose la fécondation in vitro, on rencontre les mêmes problèmes en cas de dons d’ovocytes provenant de donneuses anonymes. S’y ajoutent, bien sûr, la question des embryons qualifiés de « surnuméraires », cryoconservés et devenus sans objet dès lors que le couple a obtenu l’enfant ou les enfants désirés. Il a été décidé, qu’avec le consentement du couple ou après un délai de non-réponse aux sollicitations répétées, ces embryons pourraient être transférés à un autre couple infertile, forme la plus précoce de l’adoption en quelque sorte. Les embryons pourraient aussi être confiés à la recherche médicale avec des protocoles très strictement contrôlés. Enfin, leur conservation pourrait être suspendue.

Mais le don de gamètes peut aussi avoir pour objet d’éviter la transmission à un enfant d’une maladie d’une particulière gravité, soit par le père, soit par la mère. Parmi de nombreux exemples, je pense à un homme atteint d’une maladie caractérisée par une très grande fragilité des os. On l’appelle la maladie des os de verre. Il m’expliqua ne vouloir en aucun cas que son enfant connaisse le calvaire qu’avait été son enfance et son adolescence entre hospitalisation et immobilisation dans le plâtre. Sa femme et lui voulaient donc recourir à une insémination artificielle avec sperme de donneur. Outre le désir d’enfant dont nous discutons, on voit apparaître le souci de l’enfant exempt d’une maladie sévère et incurable, j’y reviendrai.

Sujet particulier et de plus en plus débattu, la « Gestation pour autrui » (GPA) concerne une infertilité féminine par absence d’utérus, avec ou sans ovaires. En pareille situation il faut donc avoir recours à une femme qui accepte d’assumer les neuf mois de la grossesse, parfois même d’apporter ses ovules et enfin de remettre l’enfant après sa naissance. Une telle méthode pose de nombreuses questions. A commencer par le fait qu’il s’agit d’organiser l’abandon d’un enfant et de faire abstraction de la nature des échanges entre la mère et l’enfant pendant les neuf mois de la gestation, il faut le dire, dans des conditions bien particulières. Ensuite, dans la quasi-totalité des cas les femmes qui acceptent le principe de porter un enfant pour d’autres le font pour des raisons financières, le montant demandé (quelques milliers ou dizaines de milliers de dollars) dépendant du niveau économique du pays d’origine de la mère porteuse. Le plus souvent, notamment en Inde, on a même pu parler de prolétariat reproductif.

Quoiqu’il en soit cette opération à trois, couple demandeur et mère porteuse, nécessite d’établir un contrat afin de définir, non seulement la somme convenue et les modalités de paiement, mais aussi les conditions d’hygiène de vie à respecter pendant la grossesse (ni tabac, ni alcool, et d’autres précautions encore) ainsi que les conditions de remise de l’enfant au couple commanditaire. L’objet de ce contrat est bien l’enfant, ce qui vient confirmer un prétendu droit à l’enfant et en fait ainsi un objet ! Il est bien l’objet du contrat. En effet,  s’il est possible d’avoir droit à quelque chose, il est impossible d’avoir droit à quelqu’un. Il reste que parfois se posent des questions qui n’avaient pas toujours été prévues. Qui décide de l’opportunité d’un éventuel diagnostic prénatal pendant la grossesse ? La mère porteuse ou le couple ? Qui décide de la conduite à tenir en cas d’anomalies fœtales, interruption de la grossesse ou pas ? Et que se passe-t-il quand la mère refuse de donner l’enfant à la naissance et décide de le garder parce qu’elle s’y est attachée ? Ou quand les parents refusent de le prendre car il n’est pas conforme à leur attente (s’il est atteint d’une trisomie 21 par exemple !). Il est même arrivé qu’ayant fait « affaire » avec un couple des Pays-Bas, la « mère porteuse » négocie l’enfant à meilleur compte avec un autre couple laissant le premier couple dans l’ignorance. Sans nouvelles et inquiet, il est arrivé trop tard et s’est vu opposer la survenue d’une prétendue mort fœtale. L’affaire s’est donc terminée devant les tribunaux qui ont jugé que dans l’intérêt de l’enfant il devait rester avec le couple qui l’avait accueilli dès sa naissance. Et tant pis pour le couple initial. Lorsque toutes les questions sont résolues au mieux (si c’est possible !) l’enfant revient en France avec ses parents. Se posent alors des questions juridiques que je ne vais pas détailler, pour dire simplement qu’il ne faut pas se tromper de coupable. Il me semble insensé de refuser une nationalité et un état civil à un enfant qui n’est en rien responsable des conditions de sa naissance qui contreviennent au droit du pays de ses parents. En ce sens, la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme me semble juste lorsqu’elle défend le droit de l’enfant de vivre sa vie conformément au droit du pays dans lequel il est arrivé. Si des sanctions doivent être prises, ce qui parait logique en cas d’interdiction de la GPA, elles doivent concerner exclusivement les parents.

En outre, cette pratique contrevient en France à plusieurs principes constitutionnels tels que la dignité de la personne. Elle est donc interdite dans notre pays comme dans la grande majorité des pays de la planète. Quant à ceux qui l’acceptent, à l’usage, ils prennent les uns après les autres des mesures pour la réserver à leur propres ressortissants afin d’éviter le développement de réseaux à finalités commerciales (par exemple le Cambodge ou la Thaïlande, outre l’Inde déjà citée). Je ne pense pas que la GPA sera introduite dans cette loi de révision même si le sujet sera soulevé et le débat assez vif. Il faudrait pour cela modifier le code civil qui pose le principe de l’indisponibilité du corps et de sa non-marchandisation. Ces principes, avec d’autres, accompagnant la dignité humaine ont d’ailleurs été reconnus comme principes à valeur constitutionnelle dès 1994.

Même compte-tenu des évolutions contemporaines de la famille, il parait important de souligner son rôle essentiel et la responsabilité parentale au regard de l’enfant. La famille, quelle que soit sa pluralité, demeure la cellule de base qui fonde notre société. C’est dans sa famille que l’enfant acquiert sa dimension sociale, découvre la valeur de l’échange et du dialogue. C’est cette altérité qui œuvre à son humanisation.

Or, il a fallu protéger l’enfant et prendre des dispositions pour que le don de gamètes anonymes ne vienne pas légitimer une rupture du couple après quelques temps. En effet, préparant la loi de bioéthique en 1994 mon attention a été attirée par le fait que des hommes prenaient un jour prétexte que l’enfant n’était pas biologiquement le leur pour s’en aller sans être tenus à aucune obligation puisqu’il démontrait aisément leur exclusion de paternité. Le cas symétrique existait de femmes décidant de partir avec leur enfant puisqu’aussi bien il n’était pas l’enfant de cet homme qu’elle quittait, quand bien même celui-ci s’y était attaché puisqu’il l’avait désiré et se considérait comme le père ! Avant la mise en œuvre de la procréation, de façon obligatoire, le législateur a donc voulu solenniser, devant un juge ou un notaire en tant qu’officier public, le consentement du couple par lequel chacun s’engage quoiqu’il arrive à assumer sa responsabilité de parent.

Mais dans une civilisation dite « postmoderne » on aurait tort de penser que toutes les questions sont ainsi épuisées. Il est, en effet, désormais question d’étendre les méthodes de la PMA à toutes les femmes, qu’elles soient en couples ou seules. Le débat tourne souvent au dialogue de sourds selon qu’on l’aborde par le désir des femmes ou par l’intérêt des enfants. Le désir de maternité de toute femme est parfaitement légitime et ne peut être nié, mais il arrive que pour justifier cette position, on avance que des femmes en couples peuvent déjà adopter un enfant depuis la loi sur le « mariage pour tous », et donc que la PMA devrait être évidemment autorisée. Pourtant les deux situations n’ont rien de comparable. Une adoption concerne un enfant privé de ses deux parents et il est toujours souhaitable de lui en donner au moins un, père et mère imaginaires ou non existent dans son histoire. Or, dans le cas de procréation assistée, il s’agit de concevoir délibérément un enfant orphelin de père. Pour se convaincre que l’enfant peut se passer de père, on rapporte des couples où le père est violent, ne remplit pas son rôle et peut même constituer un danger. De même, on a tôt fait de se rassurer en affirmant qu’il n’y aurait pas de problème évident en s’appuyant sur des exemples ultra-médiatisés d’enfants qui n’ont, le plus souvent, pas encore atteint l’âge des questions existentielles. En somme, il s’agit de répondre aux désirs de femmes adultes et l’étape suivante devrait être, logiquement, la gestation pour autrui puisque ce serait, par souci d’égalité, la seule méthode permettant à un couple d’hommes d’avoir aussi un enfant. Nous ne disposons pas encore d’études convaincantes sur l’évolution d’enfants ainsi conçus, mais s’agissant du secret de l’origine biologique venant d’un donneur-géniteur inconnu, il suffit de se reporter, comme je l’ai mentionné, à la quête d’enfants nés après don de sperme anonyme ou accouchement sous X. En fait, voulant satisfaire le désir de maternité de certaines femmes, on parle peu de l’intérêt de l’enfant et on a vite fait d’affirmer que la présence d’un père n’est pas nécessaire. Pourtant, chez des pédiatres comme chez des « psychiatres et psychologues », des voix autorisées s’élèvent pour démontrer le contraire en décrivant ce que l’absence d’un père provoque chez les enfants qui n’en ont pas eu. De plus en plus malmenée par les évolutions sociétales, la figure du père reste pourtant fondatrice pour la personnalité de l’enfant comme le rappellent documentaires et livres récents dès lors que la parole se libère. Je ne suis pas certain non plus que de réduire les hommes au rôle de donneur de sperme pour n’être que des pères facultatifs soit une bonne approche, y compris pour l’enfant. Sans compter l’absence de mère en cas de GPA au profit de deux hommes ! On a, sans doute, trop vite fait d’oublier la notion essentielle de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle figure pourtant expressément dans la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 que la France a ratifiée. Peut-on penser que l’enfant serait donc trop souvent oublié ?

Vous le voyez, la satisfaction du désir d’enfant dans de nouvelles situations occupera une place très importante dans la révision à venir de la loi de bioéthique. Il sera, logiquement suivi, d’un souci, sinon d’une exigence, de qualité de l’enfant attendu.

C’est d’ailleurs ce souci de qualité de l’enfant qui anime de plus en plus souvent certaines femmes. Pour diverses raisons, elles ne veulent, ou ne peuvent, pas concevoir quand il est raisonnable d’y songer, soit pour des raisons professionnelles, soit parce qu’elles n’ont pas encore rencontré l’homme qui pourrait être le père de leurs enfants. Quelles que soient leur raison, elles ne souhaitent pas prendre le risque de malformations et d’anomalies chromosomiques qui augmente avec les grossesses tardives. Puisqu’il est désormais possible de congeler les ovocytes, elles demandent à pouvoir conserver leurs ovocytes prélevés alors qu’elles sont encore jeunes pour concevoir le moment venu en évitant le risque lié à l’âge de leurs ovocytes.

La qualité de l’enfant attendu.

Vous le voyez, associé au désir d’enfant, l’évaluation de sa qualité devient de plus en plus prégnante, et cela pour un nombre croissant de grossesses.

Dans l’attente des traitements espérés pour prendre en charge les maladies génétiques, le diagnostic prénatal a commencé d’être pratiqué au milieu des années 1980 dans certains cas de maladies graves et incurables comme la trisomie 21. Au début, il s’agissait, surtout, de rassurer les couples inquiets d’un risque de récidive non négligeable afin de lever leur angoisse et permettre la venue au monde des enfants qu’ils souhaitaient. Puis, sur des arguments de justice sociale et d’économie, les indications ont progressivement été étendues à des groupes de femmes, a priori,  réputées à risque, notamment en fonction de leur âge et plus tard en raison de signes biologiques ou échographiques. Plus récemment, avec l’arrivée du séquençage de l’ADN à haut débit à partir de cellules fœtales triées dans le sang maternel, le diagnostic prénatal dit non-invasif de nombreuses maladies est possible avant la dixième semaine de grossesse, parfois même sans aucun contact médical. On constate que de plus en plus de personnes décident de faire réaliser le séquençage de leur génome par tel ou tel laboratoire outre-Atlantique. De cette façon, par internet, il est possible d’obtenir le diagnostic d’une éventuelle anomalie génétique et de demander une interruption de la grossesse dans la période où la seule demande suffit sans qu’aucune raison ne doive être donnée. Dès lors, le risque est réel d’aller vers un diagnostic génétique selon la volonté des couples avec choix des enfants à naître en fonction de leur patrimoine génétique. Cette évolution me semble constituer une mise en garde sur la dérive eugénique qui guette dans notre société, à savoir, une forme d’eugénisme médical à visage humain et empreint de compassion. Certes, toute pratique eugénique organisée est interdite par la loi de Bioéthique de 1994. Mais si 98% des femmes et des couples, apprenant que la grossesse en cours concerne un enfant trisomique 21, choisissent l’interruption de la grossesse, force est de reconnaître que l’addition de toutes les décisions individuelles dessine une société eugénique, ce que le philosophe allemand Jürgen Habermas appelle l’eugénisme libéral. Cette évolution procède de la recherche des prétendues conditions du bonheur et d’une  qualité de vie meilleure, le tout nourri d’une vision individualiste et d’un réel contre-sens sur les déterminants de notre humanité. Car se pose, alors, une question essentielle : « La qualité d’une personne humaine, en l’occurrence d’un enfant, dépend-elle de la qualité de ses gènes ? ». Toulouse-Lautrec, Petrucciani, Stephen Hawking, tous porteurs d’une anomalie génétique n’avaient pourtant pas une qualité humaine moindre. Car l’ADN n’est pas la seule voie permettant de comprendre la vie de l’homme. D’ailleurs, des découvertes inattendues déjouent nombre des affirmations futuristes sur le rôle des gènes, leur régulation et leur expression. La réalité de l’épigénétique, c’est-à-dire l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes, est de mieux en mieux connue et démontre bien la possibilité de modifications de l’expression des gènes induites par l’environnement. Juste pour donner un exemple de la réalité de l’épigénétique : les abeilles ont toutes le même génome, mais seule celles qui sont nourries à la gelée royale deviendront reines et formeront un essaim. Autrement dit, il faut accorder à l’ADN toute sa place, mais rien que sa place. Le généticien Craig Venter affirmait voici peu que si l’on connaissait à peu près tous nos gènes, nous ne comprenions qu’environ 1 à 2% du fonctionnement de notre génome. Dans le vieux débat sur l’importance relative de l’inné et de l’acquis, c’est seulement l’appartenance de l’enfant à la « nature » qui s’exprime à travers son patrimoine génétique. De son côté, la « culture » nous permet de devenir autre chose que ce que nous sommes dans notre condition purement biologique. En effet, tout ce qui nous hisse au-dessus de notre condition primitive et animale relève de la culture. C’est la prémonition de Voltaire nous exhortant à cultiver notre jardin. Ce qui est certain, c’est que la molécule d’ADN ne suffit pas pour définir notre caractère d’humain. Je rappelle que lorsque le petit d’homme vient au monde il est hominisé par son patrimoine génétique humain. A sa naissance il ne ressemble à rien d’autre qu’à un petit d’homme, mais s’il est abandonné à son sort, comme l’a montré l’histoire des quelques enfants-sauvages authentifiés, il ne s’humanise pas… il n’acquiert ni la parole, ni la marche bipède, ni la gestuelle alimentaire, ni aucun comportement proprement humain… Il a besoin d’autres humains pour se réaliser pleinement et devenir un être humain accompli. Autrement dit, si nos gènes nous hominisent, c’est bien notre environnement, social et culturel et surtout la présence de l’autre qui nous humanise. Il faut le redire, l’enfant ne se réduit pas à son ADN.

Or, avec la liberté revendiquée de s’assurer de la qualité de l’enfant à naître, le diagnostic prénatal constitue la première étape de l’évaluation de la vie au point qu’une deuxième question se pose, celle de savoir s’il y a des vies qui ne vaudraient pas la peine d’être vécues ?

Il suffit pour s’en convaincre de rappeler l’arrêt de la Cour de cassation dit arrêt Nicolas Perruche du 17 novembre 2000 accordant une compensation financière à un enfant né gravement handicapé suite à une rubéole congénitale au seul motif qu’il n’aurait pas dû naître. L’interruption de la grossesse aurait dû avoir lieu. En somme il a échappé à la sélection prénatale ! Sans entrer dans ce débat difficile, voilà l’exemple de l’évaluation d’une vie qui conduit le juge à décider si elle vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue. J’insiste car cette évaluation s’étend désormais à l’étude des gènes de prédisposition à certaines maladies de survenue plus ou moins tardive comme la chorée de Huntington ou le cancer du sein. Quand faut-il informer les enfants, les adolescents ou même les jeunes adultes de leur possible maladie génétique à venir ? Toutes ces questions sont cruciales car la vie de l’homme ne peut pas être évaluée au risque de le voir subir la double-peine, à la fois l’anomalie génétique et la mise à l’écart. Cela conduirait à dessiner une société inhumaine.

Mais puisque nous parlons de l’enfant, il faut aussi évoquer l’histoire de l’enfant appelé « enfant médicament ». Elle a commencé avec une famille dont le premier enfant était atteint d’une maladie du sang mortelle et incurable. Aucun des membres de la famille n’avait une compatibilité immunitaire permettant d’envisager une greffe de moelle osseuse pour sauver le petit malade. Le projet a donc été imaginé de pratiquer une FIV suivi d’un DPI pour déterminer les embryons indemnes de l’affection ET immunologiquement compatibles avec le frère ainé malade pour permettre la greffe salvatrice. Deux succès rapportés par deux équipes américaines ont fait l’objet d’une couverture médiatique planétaire présentant la photographie du père, de la mère et de leurs deux enfants, l’ainé désormais guéri et le cadet sauveur de son frère. Comment ne pas être très ému par cette image du bonheur. Pourtant, on ne peut manquer de s’interroger. Cet enfant n’avait pas été conçu pour lui-même, d’ailleurs s’il n’avait pas été immunologiquement compatible il ne serait pas là. Il était investi d’une mission précise. Et quelle aurait été sa vie si la greffe n’avait pas été couronnée de succès ? Ayant manqué sa mission, aurait-il pu donner un sens à sa vie ? Après une discussion parlementaire difficile, l’émotion l’a emporté et la méthode fut autorisée. C’était en 2004. Elle a finalement été délaissée car pratiquée trop rarement pour permettre d’acquérir une véritable expérience, très complexe à mettre en œuvre et très aléatoire. Cela pose clairement la question de savoir quand il faut légiférer. Légiférer trop tard conduit à priver des patients de méthodes potentiellement salvatrices, légiférer trop tôt leur fait prendre le risque d’une méthode n’ayant pas encore fait ses preuves…

C’est à ce propos que je voudrais maintenant, pour terminer, aborder la modification de l’enfant à naître.

Depuis quelques années une nouvelle technique de biologie moléculaire sur le mode du « couper-coller » informatique (dite Crispr-Cas9), suscite un espoir formidable pour le développement de la thérapie génique. Cette technique de « couper-coller moléculaire », parfois appelée « édition du génome » devrait permettre dans un très proche avenir de corriger, modifier, voire remplacer un gène pathologique. Elle n’est pas encore validée et n’a pas fait la preuve de sa fiabilité en raison de possibles risques d’effets collatéraux. Aussi toutes les équipes de chercheurs impliqués avaient convenu à Washington en décembre 2015 de rester extrêmement prudents et de s’abstenir de transférer les embryons génétiquement modifiés. Pourtant, très récemment, le monde a découvert qu’un chercheur chinois avait procédé à la modification génétique de deux embryons et les avait transférés dans l’utérus de leur mère. Deux jumelles sont donc nées, dotées d’un gène protecteur contre le VIH-sida, mais personne ne peut dire si cette expérimentation sera un succès. En effet, au-delà de l’embryon amélioré, il faudrait étudier l’enfant, puis l’adolescent et l’adulte, voire le soumettre à une contamination, pour apprécier la qualité des résultats dans la durée. Il ne s’agit donc plus d’un essai sur l’enfant mais d’un véritable essai d’enfants et d’êtres humains. Nous sommes loin de l’éthique en pédiatrie !

Enfin, dans le contexte de plus en plus insistant d’une idéologie transhumaniste visant à créer un homme « augmenté » ou « amélioré », la modification génétique d’embryons humains conduirait plus vite qu’on ne le croit, non plus à la seule « réparation » de gènes anormaux, mais aussi à la modification du patrimoine génétique dans un souci de meilleures performances. Car quand on sait remplacer un gène pathologique par un gène normal, on peut également remplacer un gène normal par un gène plus performant ! L’enfant amélioré (ou augmenté), voire même l’enfant transformé pourrait alors nous faire entrer dans l’ère d’un transhumanisme annoncé. Certains ont évoqué ce scénario inquiétant dans le film « Bienvenue à Gattaca » où seuls étaient admis les enfants dont le génome était conforme aux exigences en vigueur. Dans la loi dite de Bioéthique votée en France en 1994, comme dans la Convention du Conseil de l’Europe à Oviedo adoptée en 1997, le sujet du traitement génétique sur les cellules germinales (ovocytes et spermatozoïdes) ou l’embryon précoce dont il s’agit avait été abordé avec les plus grandes réserves au motif qu’elle modifie, non seulement l’embryon et l’enfant qui en provient, mais également toute sa descendance. Dans ce domaine, il n’est pas impossible que les lignes bougent aussi plus vite qu’imaginé.

Je n’irai pas plus loin dans l’étude du futur car après le transhumanisme l’étape annoncée n’est rien moins que le posthumanisme visant à atteindre l’immortalité et l’immatérialité de la personne. Il n’est alors, à l’évidence, plus question d’enfants pour cause d’encombrement planétaire puisque plus personne ne meure. En fait, il n’est même plus question d’êtres humains au sens où nous l’entendons… mais c’est une autre histoire !

Conclusion

C’est dire que même quand on est habité de convictions solides, le doute s’impose à chaque instant. Quelles que soient les résistances momentanées, l’évolution des sociétés enseigne que les nouvelles connaissances et les techniques qui en découlent influencent immanquablement le comportement des générations futures. Il nous reste à garder le bon sens nécessaire et la passion indispensable. A la fois pour l’enfant mais aussi pour la société que nous lui offrirons. »