
SUJETS D’ACTU
LA NAPROTECHNOLOGIE, UNE AIDE MECONNUE POUR RESTAURER LA FERTILITE NATURELLE :
Les faits : Née aux États-Unis, cette technique médicale d’aide à la procréation naturelle intéresse de plus en plus de couples en désir d’enfant.
France Lebreton
LA NECESSITE DE DIRE NON
« Choisir, c’est renoncer » disait Gide. Parole prophétique pour notre époque, pour nos états, pour nous, médecins. Nous sommes dans l’ère du « en même temps » (sans aucun parti pris politique). Nous voudrions lutter contre les dépenses énergétiques inutiles, et en même temps être hyperconnectés en tout temps, recevoir le livre qui nous manque le lendemain ou passer l’hiver au soleil. Les féministes érigent en impératif moral la défense des droits de la femme, et en même temps lui nient le droit d’être cyclée, lui imposent un modèle de « réussite » et « liberté » ne rimant qu’avec boulot hyperqualifié à plein temps, surmédicalisation de son corps et refus de dépendre affectivement de quelqu’un. On défend le « droit de mourir dans la dignité » mais en même temps seule une minorité de nos contemporains bénéficie d’une fin de vie accompagnée et soulagée, dans le cadre qu’ils ont choisi. Et enfin, on prétend vouloir adapter le monde à l’enfant, rentrer dans un nouveau schéma éducatif positif et bienveillant où son ressenti nous obsède, tandis qu’on fait de l’enfant un droit, bouleversant la cohérence de sa filiation et de sa naissance sans aucune certitude sur les conséquences à long terme.
En cette année 2020, chers confrères, ayons le courage de faire des choix Faisons le choix de servir l’homme dans la vérité de sa nature. Pour préserver et rétablir sa santé, comme nous y incite notre serment, renonçons à promouvoir ce qu’il n’est pas, renonçons aux décisions où l’idéologie va à l’encontre de la physiologie. Choisissons d’étudier les limites de notre condition, sexuée, fertile, mortelle, où l’inné et l’acquis, le génome et l’expérience, le corps et le psychisme s’entremêlent… plutôt que de les nier. Et choisissons enfin d’être initiateurs de changement, innovateurs, dans la médecine du handicap, du grand-âge, de la fin de vie, dans l’accompagnement du développement affectif et de la sexualité… ensemble, construisons une médecine humaniste et durable.
Bonne année 2020 !
Voici la note que DHOC a fait parvenir à l’ensemble des parlementaires , au premier jour de l’examen du projet de loi en séance.
Nombreux sommes-nous, médecins, à être en désaccord profond avec ce qui est présenté dans le projet de loi de bioéthique. La plus haute autorité médicale, l’Académie de Médecine, a d’ailleurs clairement affirmé les dangers de ce projet de loi, et l’on ne peut balayer son avis d’un revers de main, les médecins étant concernés au premier chef par ce projet. Il ne s’agit pour nous ni de progrès techniques ni d’un progrès en humanité. Notre expérience et notre science, même imparfaites, nous demandent de vous alerter, notamment au sujet de la loi prévoyant d’ouvrir la PMA à toutes les femmes, mais aussi d’autoriser la conservation des ovocytes chez des femmes en parfaite santé.
Elle génère de très grandes inégalités :
Inégalité bien sûr entre les enfants qui auraient un père et une mère pour les éduquer, et ceux qui n’auraient pas de père (autre que comme donneur de gamète, avec un anonymat protégé par la loi ). Toutes nos connaissances en pédopsychologie ou en psychanalyse affirment l’influence déterminante de la présence du père dans l’autonomisation, la confiance en soi de l’enfant, et surtout l’identification sexuelle au moment de la petite enfance puis de l’adolescence. Aucun élément ne nous permet aujourd’hui d’affirmer que l’absence du père serait sans conséquence pour l’enfant. Les soi-disant études brandies par les partisans de cette loi n’existent pas, ou sont biaisées car de trop petite ampleur, rétrospectives évidemment, basées sur le volontariat (comme la National Longitudinal Lesbian Family Study ) d’une cohorte de parents non représentatifs (mères éduquées de CSP supérieures), voire financées par des associations.
Mais la deuxième inégalité serait entre les couples hétérosexuels et les femmes seules ou en couple demandant la PMA : très concrètement on demande aujourd’hui deux ans de vie commune aux couples demandeurs et plusieurs mois d’observation des cycles avant d’entamer une démarche de PMA. Cela n’aurait pas de sens pour les couples de femmes et encore moins les femmes seules. Est-ce à dire que certaines pourrait avoir accès aux soins immédiatement alors que d’autres devraient subir des examens pour démontrer la nécessité de ce recours, et patienter plusieurs mois ? Le nombre de donneurs de sperme étant notoirement insuffisant (environ 360 en France aujourd’hui ) est-ce à dire que des femmes seules ou en couple auraient bien plus de chances de bénéficier d’un don alors qu’elles ne sont pas infertiles, alors que des couples infertiles verraient les-leurs diminuer ? Et si on veut éviter ces inégalités, cela signifierait-il que n’importe quel couple, infertile ou non, pourrait, après un seul rapport non fécond (voire sans rapport sexuel), venir demander une PMA ? Avec les injections hormonales, échographies, conservation de gamètes, inoculation intrautérine et tout le suivi que cela impose ? Nous n’aurions ni les moyens humains ni matériels de répondre à ce qui ne serait d’ailleurs plus de la médecine.
Elle marque une rupture, pour nous médecins :
Rupture dans la nature de notre métier: La médecine ne couvrirait plus seulement le champ du soin et de la préservation de la santé humaine, mais aussi celui de la réponse aux désirs humains. Nous n’aurions ni à faire de diagnostic, ni rechercher à rétablir la santé ou le fonctionnement naturel d’un organisme en l’occurrence, mais fournir une prestation technique chez des personnes en parfaite santé. On peut nous rétorquer que c’est déjà le cas dans le cadre de la chirurgie esthétique, mais les établissements la pratiquant ne sont pas considérés comme des établissements de santé ( loi 2002-303 du 4 mars 2002), et les soins non remboursés par la sécurité sociale ( à distinguer de la chirurgie réparatrice en cas de lésion post traumatique ou causée par des soins lors d’un cancer du sein par exemple, ou réparant ce qui peut être considéré comme une « malformation » causant un préjudice psychologique évident).Si on définit que les médecins doivent aussi réaliser les désirs de leur patient, quelle limite mettons-nous ? Et que devient la relation patient-médecin ? Nous ne sommes ni des prestataires, ni des techniciens. Cette mission, nous sommes nombreux à la refuser absolument.
La médecine, comme l’affirme le Pr Jean-François Mattei, ne serait plus humaniste mais trans-humaniste : elle aurait pour fonction d’augmenter ou de transformer les capacités de l’homme, et non plus seulement de les préserver ou les rétablir. La vie humaine se déploie dans le cadre d’une relation, hétérosexuelle, chez des femmes en âge de procréer. La cryopréservation des ovocytes chez des femmes en bonne santé et hors démarche de soin procéderait d’ailleurs de la même dérive : changer les critères et les limites physiologiques de la fertilité humaine. Il n’y a pas de garde-fou, quand on bascule vers une humanité fantasmée, lorsque ce choix est fait : augmenter l’homme, c’est inévitablement aller vers la sélection, le refus des limites et de l’imperfection et, in fine, la déshumanisation.
Rupture imposée entre la réalité physiologique et psychologique de la personne humaine : on affirmerait que ce qui constitue la personne : un corps, un psychisme, des affects, tout cela est indépendant et non intimement lié dans une croissance unique. On pourrait dissocier hérédité génétique et psychique, paternité ou maternité dite « biologique »et « affective », sans aucun risque pour les parents, les enfants ainsi conçus et élevés. RIEN ne nous permet de le penser, et aussi bien les équipes accompagnant les enfants adoptés, les enfants nés « sous X » ou même, sous un autre jour, les patients atteints de cancers savent que la personne humaine est une, et que soigner c’est prendre en compte toutes ses dimensions qui sont interdépendantes ( cf livre d’Arthur de Kermalveysen)
Elle va à l’encontre de toute réflexion éthique :
L’éthique médicale qui veut protéger le plus faible, et notamment l’enfant, parce qu’il est celui qui souffre en premier lieu quand l’environnement naturel, affectif, éducatif est carencé ou toxique. Ce projet qui admettrait que l’enfant devienne un droit, et se permettrait de faire fi de toute expérience médicale objective sur les conditions de son bien-être serait une profonde régression dans notre démarche éthique. L’honnêteté nous oblige à admettre que nous n’avons aucun élément solide pour dire que l’enfant ne risque rien à voir la figure du père effacée, sa filiation génétique et affective dissociées, et plusieurs travaux de recherche signalent que les naissances par PMA amèneraient à la naissance de plus d’enfants porteurs de handicap (Le risque non corrigé de pathologie à la naissance pour les grossesses après PMA s’élève à 8,3%, contre 5,8% pour les grossesses sans technique de procréation artificielle selon le Pr Michael Davies du Robinson Institute). Si ces résultats ne permettent pas de dire si ce sont les techniques en elles-mêmes ou les gamètes qui sont responsables, il est évident que le principe de précaution s’impose quand il s’agit d’êtres humains.
L’éthique médicale française qui affirme la non marchandisation du corps et de ses produits (lois Caillavet) : nous n’avons actuellement pas assez de dons de gamètes. Nous devrions inévitablement en acheter, en cas d’augmentation de la demande, malgré les dénégations du projet de loi. Tous nos voisins l’ont fait. Ce qui, par transfert de responsabilité, nous fait rentrer dans des systèmes ou les donneurs sont rétribués. Quant à la GPA qui est inévitablement la suite logique de ce projet de loi, on sait à quel point elle peut rapidement mener à la réduction d’une personne à un de ses organes et à sa marchandisation.
L’éthique de toute notre société qui prétend aller vers un plus grand respect de la nature et de l’écologie : on ne veut pas de dépense énergétique inutile mais on s’apprête à remplacer un processus naturel par des gestes techniques multiples, qui coûtent cher, sont invasifs, avec des effets au long cours inconnus, que ce soit pour la PMA « pour toutes » ou la cryogénisation des ovocytes pour reporter une grossesse. Le tout chez des personnes en parfaite santé. On constate les ravages que nous avons provoqué en voulant plier la nature à nos rythmes de vie, et on s’apprête à vouloir « fabriquer » des enfants en dehors de l’âge et des relations qui constituent le cadre naturel d’une naissance ? On refuse d’admettre la réalité de ce que l’on voit : nous sommes des créatures sexuées, des êtres relationnels dès la conception, avec un cycle naturel de reproduction. Nous préférons refuser cette réalité, et ne pas rechercher, nous médecins, comment rétablir au mieux dans le corps des femmes malades, les conditions nécessaires à leur fécondité. Dans l’état actuel de nos projets et recherches, nous voulons externaliser, repousser les limites, nier l’altérité sexuelle nécessaire, et même intervenir hors du cadre du soin en ce qui concerne la fertilité humaine. Quelle cohérence avec une soi-disant préoccupation écologiste ?
Pour toutes ses raisons nous sommes nombreux à refuser ce projet qui serait une profonde régression pour la médecine française, dont l’indépendance, la gratuité et les principes éthiques constituent une remarquable exception que nous voulons défendre. Notre association, parmi d’autres, ou de nombreux manifestes témoignent de nos préoccupations profondes. Nous sommes en première ligne, écoutez-nous.
PMA « pour toutes » : qui suis-je ?
Le gouvernement va soumettre un projet de loi proposant l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Nous, médecins de DHOC , refusons absolument que cette loi soit adoptée parce que :
- Elle transforme de façon définitive la mission du médecin: il n’est plus celui qui soigne mais celui qui permet aux désirs d’une personne de se réaliser. Les couples de femmes homosexuelles et les femmes seules qui souhaitent un enfant ne relèvent pas de la médecine, elles ne sont ni malades ni porteuses d’un handicap. Il n’y a pas de limite à ce que la médecine pourrait accepter de réaliser, si ce pas est franchi.
- Elle transforme de façon définitive notre rapport à la conception de la vie humaine, et nous, médecins , serions en première ligne : la vie humaine est le fruit d’une relation hétérosexuelle qui relève des responsabilités individuelles . C’est sa nature et le cadre physiologique dans lequel elle se déploie. Lorsque pour des raisons pathologiques ou d’accident de la vie ce n’est pas le cas, notre devoir de médecin est de nous mettre au service de la restauration de ce cadre, dans la mesure du possible et des limites que nous nous fixons. Cette loi affirme que la conception ne relève plus d’une relation mais d’une décision individuelle, féminine, avec l’appui de la médecine. L’enfant devient un dû qu’on demande à la médecine de fournir, aux frais de l’Etat . Là encore, la mission du médecin est profondément et définitivement déformée.
- Elle sépare la personne humaine en entités distinctes : l’ héritage génétique et l’héritage « affectif » de l’enfant sont, dans ce projet , totalement dissociés . La réalité d’une paternité et d’une maternité originelles est effacée pour une filiation purement intellectuelle, dont la figure du père est absente . L’unicité de la personne humaine (corps, psychisme, affects…) est bafouée, ce qui ne peut qu’être profondément délétère.
- Elle nous place devant une alternative contraire à notre déontologie médicale : ou bien refuser de donner à l’enfant ainsi conçu accès à ses origines du côté paternel , et donc décider qu’il n’aura pas de père et que celui-ci est réduit à un donneur de gamète. Ou donner accès aux origines paternelles et ne plus admettre l’anonymat des produits du corps humain, ni leur gratuité à très brève échéance , les exemples européens que nous avons autour de nous montrant que le manque de donneurs conduit à une politique d’achat ( et , très vite, de choix comparatifs).
Pour toutes ces raisons , nous refusons fermement cette loi qui nous implique totalement. Elle est contraire à notre déontologie et à notre vocation .Ses conséquences potentielles concerneraient toutes les spécialités médicales.
DHOC
Les unités de soins dédiées à la prise en charge des malades
en état de conscience altérée : des lieux de vie.
Dr Vincent Brun
Unité La Téranga, clinique Fontfroide
1800 rue Saint Priest, 34090 Montpellier
Il peut paraître surprenant de vouloir parler de lieu de vie pour les malades en état de conscience altérée. En effet, pour certains, l’absence de conscience peut reléguer ces personnes aux frontières de l’humanité. Et pourtant il n’en est rien : ces malades, même lourdement handicapés, restent des hommes qui méritent une attention plus grande et un respect plus marqué parce qu’eeeen très grande précarité, très grande vulnérabilité. Les discours et prises de position de ceux qui ne les connaissent pas sont peut-être une forme d’abus de pouvoir.
Quelques repères
Les états de conscience altérée regroupent coma, état végétatif (EV) et état pauci-relationnel (EPR) encore appelés états de conscience minimale. Le terme chronique parfois rajouté renvoie au temps avec la notion d’irréversibilité. L’état végétatif est défini par l’absence de signe de conscience de soi ou de l’environnement, la présence d’un cycle veille/sommeil et des fonctions vitales autonomes préservées. Au cours des états pauci-relationnel on note, malgré un état de conscience très altéré, la présence reproductible de signes de perception consciente de soi ou de l’environnement (suivi du regard, exécution d’ordres simples, manipulations d’objets, manifestations émotionnelles adaptées,…). Des critères précis sont proposés pour aider à porter de tels diagnostics. La sortie de ces états est quant à elle attestée par la démonstration fiable et constante d’une communication fonctionnelle et l’utilisation de 2 objets dans un but fonctionnel.
Dans l’état végétatif, tout se passe comme si, après une période de coma plus ou moins longue mais toujours limitée (quelques jours à quelques semaines), un processus d’éveil s’amorçait puis s’arrêtait précocement laissant la personne dans une position surprenante : elle n’est plus dans le coma puisque ses yeux sont ouverts, que l’alternance veille/sommeil est rétablie, et que les fonctions autonomes de l’hypothalamus et du tronc cérébral sont préservées et que les réflexes du tronc cérébral et médullaires sont également fonctionnels. Cependant, il n’y pas de signe d’activité consciente perceptible. La personne ne répond pas aux demandes simples, ne parle pas et est dans un état de dépendance totale. Pour ces états de vie, Steven Laureys a proposé plus récemment le terme d’Éveil Non Répondant (Unresponsive Wakefulness Syndrome) qui ne fait plus référence spécifiquement à l’état de conscience du patient mais à l’impossibilité d’entrer en relation avec lui ou d’objectiver des signes de conscience. En effet, il y a une limitation théorique à la certitude du diagnostic d’EV. La conscience est une expérience vécue à la première personne que nous ne pouvons inférer avec certitude à partir de caractéristiques comportementales ou la constatation de leur absence chez une personne cérébrolésée.
Les problèmes soulevés par ces états sont de plusieurs ordres : diagnostique, thérapeutique, pronostique et sociétaux (éthique, humain, coût,…). Les problèmes diagnostics sont importants et l’on estime que le diagnostic d’état végétatif est erroné dans 30 à 40 % des cas suivant les études. L’essentiel de l’évaluation repose encore actuellement sur l’interprétation de signes cliniques parfois ambigus, pas toujours très reproductibles, pour lesquels le caractère intentionnel peut être difficile à cerner. L’absence de réponse n’est en effet peut-être pas une preuve irréfutable de l’absence de conscience. Les nouvelles explorations en imagerie fonctionnelle (IRMf, électrophysiologie, TEP, …) nous aident maintenant à approcher la réalité de la conscience. Les aspects thérapeutiques sont aujourd’hui mieux codifiés et la limitation des soins est toujours une affaire de cas particulier. Les aspects sociétaux soulèvent quant à eux des débats dans la communauté civile avec une médiatisation parfois spectaculaire comme dans « l’affaire Vincent Lambert ».
Il ne s’agit pas de malades en fin de vie. L’espérance de vie moyenne de ces malades est en effet de 7 à 8 ans. Dans son rapport final scientifique de 2019 de l’UNAFTC (Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés Crâniens), intitulé « la vie au quotidien des personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationel dans les unités dédiées », les familles insistent sur l’état de leur proche comme n’étant pas assimilable à celui de personnes en fin de vie.
Il s’agit de personnes en situation de handicap. La loi n°2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a ainsi, dans son article 114, défini la notion de handicap : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. ». Les malades en état de conscience altérée sont en situation de handicap extrême. Ils sont aussi en situation de grande vulnérabilité, de grande précarité et les équipes soignantes doivent toujours avoir à l’esprit qu’elles sont en situation d’abus de pouvoir puisque le consentement n’est que rarement obtenu, même pour des gestes de la vie courante tels que toilette, habillage, alimentation.
La prise en charge
Le parcours de soin des ces malades est aujourd’hui bien balisé. Après le coma et le séjour en réanimation, les malades sont orientés vers des unités spécialisées de rééducation neurologique (SRPR service de rééducation post-réanimation) ou unités d’éveil. Puis, en l’absence d’évolution favorable, la circulaire n° 2002-288 du 3 mai 2002 (DHOS/O2/DGS/SD5D/ 2002/DGAS/N°288) a permis de proposer une solution d’accueil pour ces personnes dont la situation médicale est stable et peut durer pendant de nombreuses années : il s’agit des unités d’hébergement dédiées adossées à un service SSR. Dans certains cas toutefois, le retour au domicile est souhaité et possible.
Au stade de chronicité, les éléments de prise en charge sont ainsi centrés par la recherche d’un lieu de vie, le maintien du lien familial et social, les soins de la vie quotidienne, la prévention des complications et des évaluations régulières.
Les soins dans les unités dédiées s’articulent en soins non spécifiques et soins spécifiques :
- les soins non spécifiques sont les soins de l’alimentation, de la dépendance, du confort, les soins d’hygiène qui ont une dimension humaine et écologique, la prévention et le traitement des complications, l’évaluation et la prise en charge de la douleur, la restauration d’un rythme nycthéméral, la réduction de l’utilisation de médicaments potentiellement délétères sur le plan cognitif. Pour les familles, c’est la dignité de la personne qui est ainsi reconnue au travers des soins attentionnés.
- les soins spécifiques sont centrés sur la stimulation sensorielle qui peut s’appuyer sur la simple exposition à l’environnement (musique, photos, sorties…) ou sur une stimulation sensorielle structurée (musicothérapie, régulation sensorielle, stimulation multisensorielle contrôlée, atelier goût, …). L’installation au fauteuil est essentielle car elle va favoriser la mise en place de ces stimulations.
La rééducation dans ces unités est quotidienne et associe kinésithérapeute, ergothérapeute, orthophoniste ou encore psychomotricien.
La survenue d’une complication grave, toujours possible chez ces malades fragiles, très souvent porteurs de BMR, fait bien entendu toujours discuter de la limitation des soins. La notion d’obstination déraisonnable dans les soins, encadrée par la loi Léonetti Claeys du 2 février 2016 va alors s’appuyer sur des repères médicaux, des repères déontologiques et légaux et des repères éthiques. Les directives anticipées sont toujours recherchées et la personne de confiance repérée et rencontrée.
Le fauteuil roulant
L’installation au fauteuil, le fait d’être assis et donc dans une position favorisant les échanges, relèvent de la même exigence de reconnaissance de l’humanité de la personne. Elle doit être quotidienne ou au moins pluri-hebdomadaire.
La mise au fauteuil a de nombreux avantages : certains médicaux (prévention des escarres, prévention des complications respiratoires, prévention des complications des troubles de la déglutition, facilitation du cycle veille/sommeil) et d’autres relationnels comme la facilitation des sollicitations et surtout la facilitation du lien familial et social. Des sorties de la chambre et même des unités d’hébergement sont alors rendues possibles. Les promenades dans le jardin des établissements sont l’occasion pour les familles d’un contact privilégié avec le malade. Ces sorties sont aussi l’occasion de varier les modes de stimulations. Elles se feront préférentiellement vers des lieux ou des situations appréciés du malade. Elles représentent très probablement un élément important de la qualité de vie.
L’installation au fauteuil peut être rendu difficile par différents éléments qui ne sont jamais des obstacles rédhibitoires (absence de tenue de la tête et du tronc, présence d’attitudes vicieuses des membres et/ou du tronc, trachéostomie et gastrostomie). Ainsi, le fauteuil roulant doit être adapté à la situation particulière de chaque malade et faire l’objet d’une prescription dans le cadre d’une consultation de positionnement au fauteuil.
La chambre
La chambre personnalisée permet de créer une continuité d’existence pour la personne et la famille. La personnalisation porte avant tout sur la décoration avec des photos qui vont rappeler l’histoire du malade, l’histoire et la vie de la famille. Des dessins, des cartes, des lettres peuvent être affichées et sont autant de lien avec la vie extérieure. Cela peut aussi être des objets familiers, du mobilier dans la mesure où celui-ci ne perturbera pas les pratiques médicales. Cela peut-être encore une enceinte mobile pour diffuser de la musique à certains moments de la journée. Autant d’éléments qui constituent un marquage du territoire pour la famille.
La chambre doit aussi être de dimension suffisante pour accueillir la famille, les proches, les amis dans de bonnes conditions.
Toutes les chambres sont équipées de télévision.
Les heures de visites doivent être larges.
L’espace famille
Il s’agit généralement d’une pièce qui est laissée à la disposition des familles. Les proches peuvent ainsi se rencontrer en dehors de la chambre, pour échanger, fêter un anniversaire, partager une collation… L’investissement de ces lieux par les familles dépend de leur convivialité et de leur place à l’intérieur du service.
Les animations
Elles varient suivant les unités.
Elles sont parfois mises en place de façon structurée dans l’établissement et donc régulière au fil des semaines . Cela peut être par exemple:
- musicothérapie ;
- stimulation en réalité virtuelle ;
- atelier goût : c’est la valeur symbolique de l’alimentation qui est recherchée par la famille lorsque la personne n’a plus la possibilité d’une alimentation par la bouche. Les initiatives des équipes visant à respecter cette dimension, comme le fait de participer aux repas en groupe même sous nutri-pompe ou simplement de faire goûter des aliments sont de ce fait très appréciées par les malades qui le peuvent et les familles ;
- zoothérapie ou plus justement l’utilisation de la proximité animale pour une stimulation avec une composante émotionnelle ;
- stimulation multisensorielle contrôlée suivant le concept Snoezelen.
Ces animations sont parfois simplement l’expression d’un bénévolat grâce à des associations.
Elles sont aussi le fruit de l’investissement du personnel et des familles dans la vie des unités : fête de Noël ou du jour de l’an, anniversaires, autant de moments qui peuvent faire l’objet d’un partage dans l’unité.
Ces animations peuvent avoir lieu suivant les cas en chambre, dans l’espace famille ou dans le jardin de l’établissement.
Perspectives
Ainsi, l’organisation des soins, l’aménagement des locaux, l’installation au fauteuil, la présence d’animations, le respect des choix des malades et des familles ainsi que la réflexion éthique sont autant d’éléments qui transforment une unité médicale pour patients lourds en un véritable lieu de vie. Certes, il s’agit de lieux de vie particuliers et si, à certains moments, les soignants et les familles s’attachent à être les gardiens de l’invisible, à beaucoup d’autres ces unités se transforment en des lieux où la relation est au centre du projet de soin et peut s’exprimer dans toutes ses dimensions humaines.
Laureys, S., Celesia, G. G., Cohadon, F., Lavrijsen, J., León-Carrión, J., Sannita, W. G., … & Dolce, G. (2010). Unresponsive wakefulness syndrome: a new name for the vegetative state or apallic syndrome. BMC medicine, 8(1), 68. 7 Vigouroux R. Etats actuels des aspects séquellaires graves dans les traumatismes crâniens de l’adulte. Neurochirurgie 1972; 18, suppl.2:
Circulaire DHOS/02/DGS/SD5D/DGAS n° 2002-288 du 3 mai 2002 relative à la création d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel
Le cas Vincent Lambert
La situation de Vincent Lambert a mis au premier plan médiatique des équipes médicales et leur travail , avec des orientations et des appréciations très différentes de la situation . Il semble regrettable que l’emballement médiatique autour de ce cas particulier, douloureux, unique comme l’est chaque histoire de souffrance humaine ait provoqué une bataille de slogans et de jugements divers. Cependant, la mise en lumière du cas de Vincent Lambert nous permet, à nous médecins, de nous poser des questions importantes :
-Est-il possible que la prise en charge d’un patient puisse relever à la fois d’un service EVC-EPR avec un objectif de réadaptation, et d’un service de soins palliatifs dans lequel se pose la question de l’accompagnement d’une fin de vie ? Comment est-il possible que coexistent deux perceptions si différentes de la situation de Vincent Lambert ?
– La loi Claeys-Leonetti de 2016 a défini l’hydratation et la nutrition artificielles d’un patient comme un traitement , le remettant par là dans la main du médecin pour pouvoir l’interrompre si le bienfait espéré en l’alimentant et l’hydratant était insuffisant. Nous sommes ici sur une délicate ligne de crête entre une euthanasie qui ne dit pas son nom et le refus d’une « obstination déraisonnable ». Lorsqu’un patient en état de le faire refuse de s’alimenter, il parait évident de ne pas forcer sa volonté, mais lorsqu’il ne peut plus exprimer celle-ci , est-il de même nature de cesser une oxygénothérapie, une chimiothérapie et l’hydratation du patient ? La souffrance physique induite par une telle carence impliquera une sédation associée et la portée symbolique d’une telle décision est très forte, on a pu le constater durant ces dernières semaines autour du cas de Vincent Lambert. Sur ce point, l’avis des médecins de soins palliatifs et de MPR ne semble pas converger. Quels sont les écueils ou les sous-jacents d’une telle décision ?
– Quelle est la place de la volonté de nos patients, de leurs proches, des médecins dans les décisions que nous devons prendre ? On voit bien ici qu’un traitement inutile pour les uns devient vital pour les autres , et que pour certains le bénéfice attendu est insuffisant ( maintient en vie en état pauci relationnel ) alors que d’autres sont prêts à organiser leur vie autour de cette réalité. Rendre la décision collégiale est certes un garde-fou nécessaire, mais on constate ici que la réponse n’en est pas moins contestable, y compris sur le plan médical . Comment échappe-t-on à l’écueil de la question : « est-ce que cette vie vaut le coup ? », pour répondre à la question « est-ce que ce traitement vaut le coup ? » :dans un cas le référentiel risque d’être une projection subjective de ce qui ferait le bonheur ( ou minimiserait la douleur ) du patient et de son entourage, dans l’autre c’est le patient lui-même qui est le référentiel, avec ses progrès potentiels et leurs enjeux .La situation de Vincent Lambert est d’autant plus délicate que nous n’avons pas de moyen de connaître sa volonté , comme c’est souvent le cas avec des patients dont l’état est secondaire à un évènement brutal suivi d’une réanimation lourde .Cela semble militer pour une communication plus importante autour des directives anticipées, et aussi pour une réflexion sur la réanimation et des critères que nous nous donnons (ou pas) pour décider de sa poursuite ou son interruption.
C’est en allant dans les jours qui viennent à la rencontre de confrères travaillant dans les unités EPR et ceux de soins palliatifs que nous souhaitons poursuivre la réflexion sur les conséquences concrètes , positives ou négatives, de la loi Claeys-Leonetti dans sa version de 2016 .
Auteur: Anne-Sophie Biclet
Révision des lois de bioéthique : se faire entendre!
N’hésitons pas à communiquer avec les députés pour faire part de nos questions et remarques , en leur écrivant. DHOC ira à leur rencontre dans les semaines qui viennent, avant les débats sur les propositions de loi qui auront lieu au mois de juillet 2019.